Vous savez que mes chroniques oscillent toujours entre tendresse et rudesse, entre vulgarité et singularité, entre humour et gros balourd. Celle-ci s'engage mal, dès son titre.
Si je ne suis pas cinéphile, je fus par contre longtemps érotophile, voire érotomane. C'est le manque de souffle qui m'a assagi, comme on disait, par réflexe, chez les Japonais de Pentax.
Le pavillon lafranquien de Christine a eu l'honneur d'accueillir hier soir un des sommeliers les plus pointus de l'arc méditerranéen français, qui est devenu un bon copain avec le temps, ainsi que sa compagne. Celle-ci est de la partie aussi mais cultive en outre la passion des rallyes africains. De leur propre aveu, ils ne cuisinent quasiment jamais à leur domicile, faute de temps disponible et de fraîcheur d'esprit.
Par contre, notre ami cultive lui une vigne de grenache, perpétuant ainsi la tradition familiale: son grand-père possède encore une exploitation agricole du côté de Pujaut, à côté de Villeneuve-lès-Avignon.
Nous avons entamé notre dégustation par son grenache 2018, en attente de fermentation malo-lactique, mais qui a mangé tous ses sucres. Ce n'était pas gagné d'avance vu la richesse des moûts méridionaux dans ce millésime solaire. Jolie robe très foncée, nez de griotte, de burlat, d'Hedelfinger, une volatile agréable (élevage en cours) et de jolis tanins.
Ensuite, le muscat très mûr du Goldert (Gueberschwihr) me rappelle deux de ces anecdotes dont je suis friand. Ginette Zind m'avait conseillé - oh, il y a bien 35 ans ! - de garder pendant deux lustres ou plus les muscats provenant du vignoble des Humbrecht (son mari), elle, la fille de Wintzenheim. Ce fut un avis très éclairé (haha), que j'ai abondamment suivi et je m'en porte bien. Les arômes très muscatés s'atténuent, un léger parfum d'hydrocarbures peut s'installer et le vin s'affine.
Plus tard, mon ami Michel (du Limbourg) avait acheté chez le père Burn (Ernest) des VT du Clos Saint-Imer, une parcelle très délimitée près de la chapelle au sein de ce Grand Cru calcaire. Et le vieux vigneron lui avait dit toute l'estime qu'il portait au savoir-faire de Léonard Humbrecht, ajoutant finement: "Mais nous, nous sommes encore un peu mieux situés ...". Suivant une fois encore le flair de mon ami, j'étais devenu client des Burn, leur achetant régulièrement gewurz et muscat. Celui-ci, datant de la vendange 1996, n'a pas failli à la règle: il s'est dépouillé de ses excès aromatiques, il pétrole légèrement et il glisse littéralement vers le gosier, puis le cardia. Après, je perds sa trace ...
Pour la Grande Escolha, c'est tout mon passé dans la vallée du Douro qui refait surface, avec son cortège de personnalités attachantes. En Belgique, ce fut Nogueira, un importateur avisé, qui me vendit le premier des millésimes anciens de chez les Champalimaud. Oh, ces tenants de la vieille droite conservatrice du nord du Portugal ne sont pas ma tasse de thé mais, au moment où la maison Ferreira en déliquescence laissait dériver la qualité de son Barca Velha, la Quinta do Côtto, elle, commençait à produire des vins suaves grâce à des T. Roriz et des Tourigas fantastiques, le tout élevé en chêne portugais. A partir de 1999, le visage d'ange et l'accent délicieux (galicien) de la toute jeune Susana Esteban ajoutaient un attrait de plus à la visite des chais de Cidadelhe, près de Mesão Frio. Ce 1995-ci, un rien fané à l'ouverture (bouchon dans un état misérable), s'est vite refait une santé en carafe: suave, suave, suave. Une pintade fermière du Sud-Ouest, venue en pick-up depuis un boucher de Lorp-Sentaraille où nous nous servons régulièrement, quelques mange-tout (pois gourmands en français) et des rates du Touquet ont servi de prétexte à une râpée de
T. melanosporum pour l'accompagner. Caralho que bom!
Enfin, nous avons terminé par du sucré: galette de l'Epiphanie façon frangipane et millas au raisin flambé (marc de gewurztraminer). La colheita 1975 (mise en 2002) de chez Barros, du temps où les banques espagnoles n'avaient pas encore fait main basse sur cette société, fut en tout point parfaite. Ici, mon anecdote est sociale. Le dernier propriétaire en date issu de la famille, Manuel Barros si je me souviens bien, m'avait accueilli pour le lunch dans une des quintas du shipper, qui domine le fleuve. Deux soubrettes en uniforme- j'ai compris plus tard qu'elles étaient mère et fille - se trouvaient comme de faction des deux côtés de la porte de la salle à manger, et assuraient le service. J'ai adressé quelques mots aimables à la plus jeune (mignonne) qui m'a répondu en deux phrases. Elle s'est immédiatement fait réprimander par le patron (et ensuite par sa mère), malgré mes protestations ... "mais c'est moi qui ai commencé " (nanana euh!). Au début du troisième millénaire, le petit personnel n'adresse pas la parole aux invités dans la haute portugaise.
Mais laissons cela, et remercions Bénédicte et Baptiste
d'avoir trinqué avec nous.
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