ET AU CHU: TROISIEME PARTIE

 

 

 

 

Là, croyez-moi, les tubes n'ont pas bonne mine 

et les lumières sont obstruées.

 

 

 

 

 

 

 

Les circonstances exactes de mon récit sont volontairement modifiées. Même 30 ans plus tard, il faut ménager le secret des données de la "victime" et les susceptibilités des intervenants. Disons que j'ai été amené à sélectionner très rapidement une position inconfortable, devant choisir entre deux bras d'alternative embarrassants tous les deux. Je pense avoir fait le bon choix et recommencerais de la même manière. Il a un peu influencé le déroulement de ma carrière médicale. 

 

Alors que je "tenais" une quinzaine de lits dans un hôpital de grande taille, j'ai été amené à intervenir régulièrement à l'unité de dialyse de cette institution durant deux ou trois semaines, suite à l'absence passagère d'autres membres du staff, tous plus senior et plus expérimentés que moi.

 

Une patiente ayant reçu du cisplatine, mais présentant en plus d'autres facteurs de risque, s'était retrouvée oligo-anurique et devait être dialysée plusieurs fois par semaine. Comme on espérait une reprise de sa fonction rénale à terme (et ce fut le cas d'ailleurs), on avait préféré remettre en place une nouvelle voie d'entrée à chaque fois, plutôt que de demander aux chirurgiens d'installer une fistule artério-veineuse définitive, intervention plus lourde et insuffisamment justifiée. A l'époque, les machines d'épuration extra-rénale nécessitaient des débits assez importants (40 ml par minute si mon souvenir lointain est exact) pour être efficaces, et sans recyclage artério-veineux. Seule la mise en place d'un cathéter assez profond dans une veine à gros débit (fémorale, jugulaire ou sous-clavière) faisait l'affaire. 

 

J'ai donc piqué cette pauvre femme dans l'aine, une fois à gauche et une fois à droite alternativement, trois fois par semaine. On avait déjà commencé avant moi. Au bout d'un certain temps, la peau et le tissu sous-cutané se fibrosent un peu, on perd ses repères (notamment la pulsation artérielle), des petits hématomes s'organisent et cela peut devenir malaisé. Par contre, la répétition du geste facilite le processus. 

 

Quand les collègues sont revenus dans le département, ils ont tout naturellement repris le flambeau à ma place, et avec tout autant de compétence et d'habileté, là n'est pas le sujet. 

 

Un matin pourtant, je suis appelé dare-dare au chevet de cette dame et j'ai tout de suite entrevu mon malheur. Un autre médecin suait sang et eau, visiblement de méchante humeur, à côté d'un champ maculé, de compresses sanglantes et de divers cathéters usagés et souillés. Pas moyen de la connecter! Et la pauvre avait elle-même suggéré de ... demander au docteur Charlier, pour voir! 

 

Et voilà le piège: soit je réussissais assez vite à monter le cathéter, et cela valait mieux pour elle; soit j'échouais misérablement, abîmais encore plus la zone et on n'était toujours dans la merde, soit je ratais volontairement, pour préserver l'amour-propre de mon aîné. Je précise qu'une ou deux élèves-infirmières assistaient à la scène, ainsi qu'un stagiaire-médecin et une partie du staff infirmier! Ambiance. 

 

Cinq minutes plus tard, le temps d'enfiler la tenue stérile, on connectait cette dame à la machine et elle me disait: "Merci". Le bon dieu des médecins athées avait choisi mon camp ce jour-là mais je pense qu'on m'en a tenu rigueur jusqu'à ce jour. 

 

L'anecdote est vraie.

Elle m'a en partie coûté une carrière académique, 

en toute honnêteté,

même si ma candidature posait d'autres problèmes. 

 

 

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