Je n'en suis que
partiellement responsable!
Au tout début des années 2010, les bons vins de la Coume Majou trônaient sur la table des Brasseries Georges au centre chic de Bruxelles. Durant plusieurs années, la cuvée "l'Eglise" mais aussi la cuvée Miquelet 2005 satisfaisaient la clientèle. D'accord, pas forcément celle du banc d'écailler, mais la carte de l'établissement comptait d'autres spécialités.
Un jour - on m'a rapporté les circonstances - un dîneur un peu coincé a relevé ses lorgnons et s'est exclamé: "Ce n'est pas du vin, c'est du vinaigre!" Le serveur s'en est plaint au chef de rang, celui-ci à son maître d'hôtel et la référence a été barrée. Le bras droit de mon importateur d'alors, un garçon très compétent, qui fut d'ailleurs meilleur sommelier de Belgique et avait tenu un poste de responsabilité chez Monsieur Daquin à la grande époque, est allé récupérer la bouteille dare-dare. Vous pensez, je suis en capsule à vis, ma mise (38 hl de cette cuvée) s'est faite en une seule fois et, si une bouteille est fautive, toutes les autres risquent de l'être aussi. Il l'a dégustée le soir chez lui avec son épouse, l'a bue jusqu'à la dernière goutte et m'a rassuré: "Le vin est délicieux Luc; c'est eux qui n'y connaissent rien". Dix ans plus tard, il me reste entre 100 et 200 bouteilles du même et il continue d'être délicieux, et même présent sur la carte de 5 étoilés Michelin en France au moins.
Or, des amis vignerons avaient l'habitude de faire élaborer par la vinaigrerie La Guinelle, à Cosprons, du vinaigre gastronomique au départ de leur vieux Rivesaltes rancio. Le succès de cette maison fut tel que la propriétaire décida de ne plus travailler à façon mais de se concentrer entièrement sur sa propre marque, qui lui laisse forcément plus de marge. Un de ses collaborateurs lança alors son propre atelier de transformation à Corbère-les-Cabanes, la Vinaigrerie des Domaines, établie comme il se doit à la rue de la Fontaine. Sylvain Vives saute ainsi un stade plus loin que Jésus à Cana, transformant l'eau en vinaigre sans passer par la case "vin". C'est moi qui fus le premier client (de Sylvain, pas du Nazaréen).
Je lui ai confié un bidon de Maury Quintessence (du vin fini et quelques lies) et une pièce de bois venant de Cahors, mise jadis élégamment à ma disposition par Jean-Hubert Verdaguer. Au bout de quelque temps, l'acétisation refusait de se mettre en route. Et le vin doux, réduit à 12 vol% car au-delà le degré alcoolique ralentit fortement l'activité des bactéries acétiques, se mit à crépiter: il était reparti en fermentation alcoolique, "mangeant" les 80 gr/l de fructose* qu'il contenait encore. On l'a ensuite relancé et le résultat est surprenant, mais délicieux. On n'obtient nullement un vinaigre douceâtre et un peu balsamique comme avec d'autres VDN ou du miel, mais bien un vinaigre de vin rouge sec, très aromatique et élégant. Des chefs de grande qualité comme mon ami Saburo Inada à Saint-Gilles ou Cyril Attrazic à Aumont-Aubrac s'en sont servis pour leurs recettes. J'ai effectivement mis à la disposition des professionnels des bidons de 3 litres, en complément des 25 et 50 cl que je vends aux ménagères.
Il y a un "hic". Le prix de vente du vinaigre, même de qualité, est inférieur à celui d'un bon Maury. En prenant à mon compte les frais de la transformation, et la mise en bouteille, je ne m'y retrouve évidemment pas. Je ne serai jamais un bon commerçant! Mais, au moins, j'ai eu la satisfaction que Sylvain réalise pour moi un vinaigre d'exception, dont je me sers pour ma propre cuisine, soit dit en passant. Non, pas pour nettoyer les vitres!
La deuxième fois, j'ai été un peu plus subtil. Au moment de la mise en bouteille de notre vieux carignan, j'ai récupéré intégralement les derniers litres de fond de cuve et les lies fines et c'est cela que j'ai confié à la vinaigrerie. Le même fût a permis sans délai l'élaboration de notre deuxième vinaigre, totalement différent. Il est pâle en couleur et extrêmement fruité, avec encore une certaine "ardence" (jeunesse). Nous commençons à le commercialiser également.
Finalement, le fâcheux du Bois de la Cambre avait raison:
on fabrique du vinaigre à Majou!
*: Au moment où on mute le moût qui va donner naissance au Maury, les levures (Sacch.
cerevisiae) ont en effet préférentiellement fermenté le glucose présent dans le jus de
raisin, ne laissant subsister à ce stade que le fructose, dans une large mesure.
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