PUISSE CETTE ODE RESTER A LUCIEN

 

A force de presser des grumes, de regarder pousser les pampres

Il savait parler des aïeux comme s'ils n'avaient jamais été vieux!

Le chenillard s'étonne encore l'actisol ne s'essouffle plus.

Il ressemblait aux chercheurs d'or avec un secret de plus.

Sa bouche sucrée de légendes qu'on écoutait comme un festin,

un festin jamais trop à vendre,

nous décrivait tant de tanins ...

 

 

Pardon à Décamps et Brézovar, j'ai malhabilement plagié leur Emile Jacotey de 1975, mais c'est pour la bonne cause: moi aussi, je suis sur la trace des fées (du vignoble) ...

 

J'ai rencontré deux fois Lucien Peyraud, en vrai, pour quelques instants. Lors de la seconde occasion, il a tenu à venir me saluer par un petit escalier d'angle descendant au cuvier où je dégustais avec Jean-Marie, peu de temps après une intervention orthopédique d'importance, cependant, si mon souvenir ne me trahit pas. Mais je l'ai croisé des centaines de fois dans les récits d'Achille Pascal (Dom. du Galantin). J'ai aussi dégusté une bonne partie d'un après-midi avec Madame de Portalis, vieille aristocrate distinguée au regard pétillant. Mais je n'ai jamais connu André Roethlisberger par contre, la Milière était déjà un lotissement lors de mon premier passage à Sanary. Eh oui, à 63 ans, le vieux que je deviens peut commencer à raconter ses souvenirs et évoquer les grandes figures qui ont créé cette appellation ... Les journalistes font de même, mais ils resucent des textes antiques rédigés par d'autres et témoignent de ce qu'ils n'ont jamais vécu. 

 

Mes premiers contacts avec le Domaine Tempier remontent au temps où la famille Pascal m'hébergeait généreusement dans le gîte familial, rustique mais douillet et au charme indescriptible, au fin fond du Plan-du-Castellet, là où le chemin qui serpente au pied du Gros Cerveau file vers le Val d'Arenc (ou Aran). En continuant plus loin, beaucoup plus loin vers le haut, on arrivait à La Laidière. Par en-bas, les voisins immédiats (très relatif) étaient d'abord Ray-Jane et son ineffable M. Constant-père, puis Tempier, de l'autre côté de la voie de chemin de fer imaginaire. 

 

C'est Jean-Marie qui m'a initié aux vins de sa famille, et qui m'a tuyauté vers La Beaugravière à Mondragon. Et c'est ensuite chez François et sa femme, à la terrasse de la Tourtine, que j'ai pu savourer le grand aligot avec une petite bande de cardiologues belges amateurs de vin, dont Roland Bernard. Ensuite, j'ai eu le plaisir de côtoyer un fils de la famille (filiation floue dans mon esprit) et sa compagne avant que, fâchés, ils n'aillent s'établir plus à l'ouest, dans les Cévennes (Ardèche ou Gard), pour y vinifier selon leur goût. 

 

Entre 1987 et 1994-5, je pense qu'on a dû me voir au moins 12 fois au domaine. Les 1993, millésime très réussi à Bandol, marquèrent le début d'un déclin passager mais réel, lié à un passage de flambeau compliqué et à toutes sortes de raisons techniques. J'y suis retourné vers 2000, ou juste avant, pour rencontrer l'actuel responsable de l'exploitation, Daniel Ravier. Cet agronome posé et réfléchi a commencé comme "caviste" (le nom du responsable des chais à Bandol) mais il a aussi mis son nez dans la conduite du vignoble. A présent, la famille Peyraud lui a délégué l'essentiel du "management". Et Tempier est revenu à sa gloire d'antan, profitant en plus de l'essor des prix du vin de l'AOC. On peut dire que les vignerons du Bandol sont arrivés à valoriser leur production et à en vivre décemment. Des commerçants venus d'ailleurs leur ont montré comment faire. 

 

Je vais donc vous parler d'un temps que les petits djeuns ignorants ne peuvent pas connaître. Il y avait dans les années '80 la cuvée Tempier de base. Certaines fois, elle était quelque peu "déshabillée" par l'absence des meilleurs raisins, servant aux autres vins. On vous proposait une Cuvée Spéciale, souvent très construite, et puis la Tourtine (très beaux mourvèdres venant de la pente du Castellet, avec notamment la parcelle dite Cabassaou) et la Migoua (comprenant en plus des cinsaults et des grenaches de qualité provenant du Beausset-Vieux). Anecdotiquement, on a ensuite mis en bouteille séparément du mourvèdre presque pur (Cabassaou) et aussi (3 années?) la Louffe

 

Le millésime 1985 fut de toute beauté à Bandol, du moins dans mon expérience. 

 

Le magnum que je vous montre est revenu avec moi en voiture du chai du Plan, et a passé une ou deux années dans une cave souterraine très humide près de l'entrée de l'autoroute de Gand. Lorsque les aléas de l'existence et la testostérone ont occasionné le transfert de ces vins, c'est à la périphérie de BXL que la bouteille a vieilli, climatisée et à un mètre de distance d'une grande citerne d'eau de pluie. Je précise cela pour les ésotériques parmi vous. Cette secte propose des androïdes mutants, croisement entre les hystériques et les mystiques. Ils professent la porosité du verre et la mémoire de l'eau, mais négligent par contre le caractère merdique absolu du liège, entre autres bizarreries. 

 

Puis, elle a été conservée dans un local curieux, chez un ami, à un jet de pierre de l'émetteur de la RTBF, avant que ce même ami, pour des raisons identiques aux miennes, ne la transfère près du canal, à proximité de la grande écluse. 

 

Enfin, de 2007 à maintenant, elle est restée sous les combles (non isolés) de ma maison du Riberal, le pire endroit pour un vin, avec des écarts de température hiver-été de 30 degrés Celsius et une hygrométrie le plus souvent égale à ... zéro. Beaucoup de vins du Roussillon ont subi ce sort pendant tout le vingtième siècle d'ailleurs. 

 

Chaque fois que j'attrape un magnum, une appréhension me saisit aux tripes. Non, je ne crains pas que ma sénilité ne me fasse lâcher prise, mais j'ai peur que la mèche du sommelier ne me ramène un bouchon vermoulu et puant. Ici, ce ne fut pas le cas.

 

J'ai filtré et carafé la moitié de la bouteille: orangé et très volatile On connaît cela: les vieux Château Musar, c'est TOUJOURS comme cela. J'ai ensuite secoué le vin comme dans une baratte à beurre, de longues secondes, laissant ensuite échapper le gaz obtenu. Et puis j'ai abandonné le vin une heure durant, pour qu'il réfléchisse un peu et se reprenne, en se demandant si c'était un jour fruit, un jour plante, un jour sans pain ou un jour du Seigneur. La lune entrait dans la constellation du naïf. 

 

La robe est redevenue carmin, le nez a perdu ses acétates, mais il a gardé un côté poussiéreux et "humide", dont je me passe. Mais en bouche, les tanins sont d'un velouté absolu, un gras très jouissif s'est installé et seul un petit aspect de torchon mouillé vient troubler la sérénité du buveur invétéré que je suis. Christine croit y retrouver soit un poil de bouchon, soit un peu de "vieux foudre". Dont acte.

 

La deuxième moitié, 12 heures plus tard, gardait un aspect légèrement poussiéreux, mais gagnait encore en suavité.

 

Je vous laisse décider si la disparition du fruit et les côtés un peu vieux ne sont pas un prix trop élevé à payer pour cette évolution. J'ajoute que je suis CERTAIN qu'un bouchage plus adéquat (une screw-cap, donc) aurait protégé ce vin des avatars de sa garde, mais cette technique n'en était qu'à ses balbutiements alors. Et à présent, les petits génies du marketing des grands pays producteurs du vieux monde s'évertuent à perpétuer le mythe du liège, et tous leurs gogos de suiveurs de la blogosphère tombent dans le panneau. Mes collègues producteurs, et les sommeliers, savent généralement que mon raisonnement est correct mais ... il faut vendre, et boire plutôt que garder. 

 

 

Gloire à Achille qui m'a mené à Lucien.

Gloire à ses fils.

Bravo à Daniel d'avoir remis tout cela en ordre.

Je reste un fervent de ce genre de Bandol-là.

 

 

PS: je dédie cet article à notre ami Baptiste Ross-Bonneau.

     Ce tout jeune trentenaire sait pourquoi.

     Et je le dédie aussi à Céline Van Laethem.

     Quel code pour une "presque mariée"! 

 

 

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